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Nadia Beugré

Entretien avec Nadia Beugré
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septembre 2022

  • Don Giovanni, séducteur, libertin, athée, égoïste... Qu'est-ce qu'il représente pour toi ? Qu'est-ce qui t'intéresse dans ce personnage, ce mythe ?

C'est son jeu de séduction qui m'intéresse. Mais pour moi, il pourrait aussi être un oiseau. Pour moi, il pourrait être un sourire, une étoile, la lune. Pour moi, il pourrait être quelqu'un. Il pourrait être mon rival, ma sœur.


  • Ou toi-même ?

Ou moi-même ! Car je pense que nous portons tous ces molécules en nous. Quand j’entends les gens en parler, je ne peux m'empêcher de sourire intérieurement, parce que je m'y retrouve, parce que ce pourrait être moi. Et on se rend compte que l'on peut être monstrueux. Et c’est cette part du monstre qui m’intéresse. Qu'est-ce que le monstre ? Peut-être que c'est ce qui est beau pour toi ? Peut-être ce qui est monstrueux pour toi, c'est ce qui est beau pour moi ? J'ai très envie de danser avec tout ce qui est monstrueux. Et puis l’imprévisible, la surprise. Que ce soit choquant ou non. Enfin, son côté malicieux et exubérant. Don Giovanni est une femme, pourrait aussi être une femme…


  • Don Juan est un personnage très présent dans notre histoire occidentale. Au fil des siècles, l'art, la philosophie et la psychologie se sont intéressés à lui. Quelle a été ton approche ?

Je ne connaissais pas la pièce. Ni le mythe, ni les détails de l'histoire.

Mais bien sûr le terme de Don Juan, en relation avec l'art de la séduction.

Ce qui m'a intéressé dès le départ, c'est l'acte de séduction. Pas nécessairement le sexe. Il s'agit aussi d’habitudes, d'odeurs. Se reconnaître dans une odeur, être différent des autres.

Être différent, faire un choix, se démarquer. Peu importe si cela choque ou plaît…


  • Sur Entre deux, tu as laissé aux interprètes le choix de leur costume. De même, ils ont, chacun, une relation spécifique et personnelle aux objets qui apparaissent sur scène…

Nous construisions notre univers artistique avec les objets qui se trouvent au bord des chemins que nous prenons dans la vie. Des chemins souvent imprévisibles.

Certains se demandent comment ils vont se sortir de telle ou telle situation… C'est bizarre, mais moi, je m'en sors toujours. Sans savoir expliquer bien comment…

Il y a d'une part chez moi une certaine inconscience, innocence, une certaine candeur parfois. Et puis, une force, une puissance dont je ne connais par l’origine. Tout est éphémère, transitoire. Mon souffle ne dure pas. Alors lorsqu'une action a lieu, lorsqu'un orgasme a lieu, lorsqu'une rencontre, un voyage ont lieu, je suis pleinement là et il se passe quelque chose. C'est comme une maison, soudain ébranlée par quelque chose de physique qui tient debout mais perd un morceau de son toit, de ses murs. Avec quoi vais-je pouvoir reconstruire, remplacer, remplir ? C'est ainsi que je travaille.

Souvent, j’ai une idée assez claire de l'endroit où je veux aller, mais le chemin pour y arriver est très ouvert. Je suis toujours prête à accueillir et à intégrer des choses, des rencontres, des idées qui n'étaient pas prévues, ces choses sur les bords des chemins justement.

Le monde est très ouvert. Et pour moi, c'est vraiment cette question de l'ouverture au monde, l'ouverture qui s'offre aux danseurs, dont on dit qu'elle est culturelle. Quand je donne par exemple la consigne "Ziguehi" (NDLR : un mouvement urbain ivoirien formé dans les années 1970, désignant à la fois certains groupes de personnes, un mode de vie et d'expression et une danse), les danseurs ivoiriens dans le groupe ont immédiatement des images en tête, mais comment Raquel ou Lucie qui ne connaissent rien de la Côte d’Ivoire peuvent-elles s’en saisir ?

Comment nos expériences de vie peuvent-elles devenir un outil pour notre danse ? Je travaille avec des personnes, pas avec des danseurs. Comment ces personnes peuvent-elles utiliser leur bagage personnel, intime, pour créer des matériaux, de la danse, des formes. L’espace que je crée et que je les invite à habiter leur permet aussi de montrer leur générosité.


  • Dans Entre deux, il y a aussi le côté tendre, vulnérable, fragile de Don Giovanni. Le désespoir et la peur apparaissent aussi…

Tout est là en effet. Quelque part. La question est : comment se construire, respirer, comment ne pas s'apitoyer sur soi, comment transformer tout ce qui nous arrive, comment accéder à une autre forme de deuil ? Ce sont des fragments, mais il faut trouver la lumière, l'éclat. Malgré tout et même si c'est éphémère, nous devons aimer. Continuer à aimer…

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